samedi 11 juillet 2009

L'évolution en France

Comme nous l'avons vu dans un article précédent, l'évolution et la sélection naturelle restent mal comprises du grand public, qui semble leur préférer une version finaliste. Cette méconnaissance est imputable à différents facteurs : notre fonctionnement cérébral (recherche de causalité systématique), une mauvaise communication médiatique et probablement un enseignement partiellement défaillant.
On ne peut naturellement pas éliminer le premier problème, mais une prise de conscience de nos biais cognitifs (par l'enseignement de la zététique par exemple) permettra peut-être de limiter ses effets. Concernant le second point, il incombe aux vulgarisateurs scientifiques d'utiliser une sémantique précise (une théorie scientifique n'est pas une hypothèse, par exemple), d'abandonner les métaphores ambiguës et les coupables imprécisions (combien d'émissions de vulgarisation évoquent des espèces qui ont su « s'adapter à leur environnement » ?) . Quant au dernier problème, il peut tenir à de mauvaises méthodes pédagogiques mais aussi à une méconnaissance du sujet de la part des professeurs eux mêmes !
Afin de mieux cerner l'étendue et la nature du malaise, des Professeurs de l’Université Paris-Sud XI ont mené durant trois années (de 2005 à 2008) une enquête afin d’évaluer les connaissances sur l’évolution des étudiants de L1 en biologie à Orsay et ceux du PCEM (première année du premier cycle des études médicales). Il est important de noter que la très grande majorité des étudiants sondés avaient un baccalauréat scientifique et qu'ils ont répondu après plusieurs mois de cours durant lesquels le sujet de l'évolution a été abordé.
Les résultats (1) sont édifiants :
  • 2 % des étudiants pensent que l’évolution biologique « est une théorie qui a été réfutée ».
  • 4 % considèrent que « les espèces vivantes sont apparues une fois pour toutes ».
  • 32 % pensent que l’évolution n’est qu’une hypothèse et non pas un fait établi, 5 % étant sans opinion.
  • 6 % des étudiants en médecine réfutent l'évolution (les autres se répartissant également entre les sceptiques et ceux qui l’admettent).
  • 20 % affirment que « l’évolution se déroule selon un plan pré-établi ».
  • 36 % ne pensent pas que « l’apparition de la vie sur terre résulte uniquement de processus physico-chimique ».
  • Près de 12 % refusent de placer l’homme dans le règne animal.
  • Plus de 9 % récusent que toutes les espèces vivantes connues (« des micro-organismes à l’homme ») aient un ancêtre commun.
  • Près de 12 % ne conçoivent pas que plusieurs espèces d’hommes aient pu coexister.
  • À la question « pour respecter les standards de leur race, on modifie artificiellement l’apparence de certains chiens en leur taillant les oreilles et/ou la queue. Ces modifications vont-elles progressivement devenir héréditaires ? », plus de 16 % des étudiants ont répondu oui.
Les optimistes pourraient arguer que le même type de sondage à la fin du cycle universitaire et a fortiori chez les enseignants donnerait des résultats moins alarmistes. Malheureusement, une enquête auprès de professeurs de 19 pays a déjà été effectuée (2) et des chiffres similaires ont été obtenus : 2 à 4% d'enseignants français (y compris en biologie) ont donné des réponses créationnistes (bien moins que dans les 18 autres pays concernés par l'étude).  Parmi ceux qui déclarent « croire » en l'évolution, nombreux ont des positions finalistes et minimisent, voire nient le rôle du hasard.
Pour ajouter au pessimisme que ces chiffres engendrent chez l'homo laicus, on peut mentionner le très récent décret (J.O. n° 0092 du 19 avril 2009) sur la reconnaissance des diplômes entre le Vatican et la République française. Par son application, il semble (3) désormais possible qu'un étudiant en licence de théologie dans un institut religieux puisse enchaîner sur un master de philosophie dans une université grâce aux équivalences que permet la loi.
Pensez vous qu'un professeur de philosophie ayant un tel cursus soit apte à changer les chiffres de l'accablant sondage qui précède ?
Certes, la France est (pour combien de temps encore ?) mieux lotie que nombre de ses voisins, mais cela ne saurait constituer un satisfecit pour l'enseignement républicain.
Finalement, la seule vraie bonne nouvelle est la prise de conscience d'une grande partie des académiques et la réaction épidermique des défenseurs de la pensée critique.
De leur faculté à se rassembler et informer va dépendre la liberté intellectuelle des générations futures.


Notes et sources :
(1) Plus de 1000 réponses obtenues (source : www.pleinsud.u-psud.fr)
(2) Les convictions créationnistes et/ou évolutionnistes d’enseignants de biologie : une étude comparative dans dix-neuf pays, Pierre Clément (Source : www.nss-journal.org)
(3) Il faudrait qu'un spécialiste du droit précise le cadre d'application du décret et valide cette interprétation.